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     Journal de bord de "Spirit of Arielle"  -  Café Sport (chez "Peter")
 

Il est de ces lieux mythiques qui jalonnent le parcours du marin. Ainsi le Cap Horn, Bonne Espérance, les Galapagos, Panama, Tahiti, sont autant de noms qui réveillent chez lui le souvenir nostalgique d’un lieu, de visages, d’histoires… mais nul autre que celui de « Peter » du Café Sport ne surpasse le plaisir de la rencontre, l’accueil chaleureux et spontané sur la route du retour quand les derniers miles sont comme autant de perles d’un chapelet que l’on égrène à regret avant le port final, perles que l’on retient pour mieux goûter ces derniers instants du voyage. Horta. Peter. Ces deux mots symbolisent pour beaucoup la presque fin de l’aventure, et ils ont bercé toute ma jeunesse et mon adolescence quand au détour des pages de mes auteurs favoris, que ce soit Bardiaux, Moitessier, Chichester, Tabarly, et tant d’autres, ils apparaissaient. Bien des années ont passé, et voilà que le rêve se réalise. Oh, ce n’est guère un bien grand rêve, on ne pense pas toute une vie à venir boire une bière chez Peter, mais c’est comme un aboutissement, un passage obligé, mais heureux. Là, dans cette atmosphère autrefois enfumée, aujourd’hui éclaircie par les bienfaits de madame Europe, les marins se retrouvent pour commenter leur voyage, leur retour, avec ce brin de nostalgie dans la voix qui trahit l’aventure qui se termine.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Baleinières avec lesquelles les marins chassaient. Aujourd'hui, elles servent pour faire des régates.

 

Une fois mortes les baleines étaient remorquées par ces bateaux à moteurs.

Une histoire centenaire.

L’histoire de ce café, sans doute le plus connu dans le monde, et pas seulement dans celui de la plaisance, remonte en fait à l’arrière grand-père. Celui-ci très tôt s’intéressa à l’artisanat local tant et si bien que lors d’une exposition à Lisbonne en 1888, il y gagna la médaille d’or. Ce qu’il montrait était extraordinaire : les scrimshaws. Mot intraduisible, à l’origine controversée, il recouvre en fait la sculpture sur l’ivoire des dents de cachalot. Longtemps, les Açores ont vécu de cette activité hasardeuse, pour ne pas dire dangereuse, la pêche à la baleine. Si tout dans celle-ci était utilisé, la graisse fondue, les dents, elles, revenaient aux marins. Lesquels, durant les longues soirées d’hiver, gravaient des visages, des scènes de pêche ou de la vie à la campagne. Le procédé est assez particulier. Il faut d’abord polir soigneusement l’ivoire très dur de la dent (plus dur que celui de l’éléphant), puis ensuite on le noircit avec une sorte de cambouis. Une fois sec, l’artiste grave à l’aide d’une fine pointe le dessin, sans rature, car sinon il faut recommencer. Le trait apparaît alors en blanc, en négatif du dessin final. Une fois fini, on repasse une couche de noir qui va alors s’incruster dans la gravure. Il ne reste ensuite qu’à soigneusement essuyer la couche initiale pour voir finalement apparaître le dessin magnifiquement réalisé. La qualité des représentations, souvent des portraits, est extraordinaire.

Début du siècle, l’arrière grand-père, Ernesto Azevedo ouvrit donc un café, de manière à mieux accueillir les marins de passage et les pêcheurs. C’était aussi l’époque où les télécommunications se réduisaient aux télégrammes envoyés par câbles sous-marins. Etant donnée leur position géographique,  les Açores étaient vraiment la plaque tournante de ces liaisons, et quatre compagnies, dont la célèbre « Cables and Wireless Company » y étaient représentées. De fait, ces compagnies entretenaient sur place du personnel qui prit l’habitude de tenir ses quartiers chez Henrique Azevedo (le fils de Ernesto, grand-père de l’actuel José) dont l’accueil et la gentillesse avaient su les retenir. Horta à cette époque était le plus grand port des Açores, aidé en cela qu’il avait très tôt possédé sa digue de protection qui en faisait un havre sécurisant une bonne partie de l’année. C’était aussi l’époque où les hollandais de la Smit Tag, grosse compagnie de remorquage toujours active dans le monde aujourd’hui, stationnait là plusieurs remorqueurs en prévision des difficultés que rencontraient les navires dans ces parages où la mer est souvent très dure. Enrique noua de très bonnes relations avec les équipages qui fréquemment se retrouvaient autour de quelques « bocks » de bières au Café Sport. C’est d’eux qu’il tient d’ailleurs la couleur emblématique du café dorénavant, bleu et noir, quelques pots de peinture ayant été offerts par les hollandais

 

De génération en génération.

A cette époque, le jeune José, père de l’actuel propriétaire des lieux, assiste son père au café. C’est une jeunesse heureuse qui cependant trouve sa fin avec la deuxième guerre mondiale. A 15 ans, il est mis au service des anglais, mais très débrouillard, polyglotte, il occupe rapidement diverses fonctions avant d’être responsable du magasin peinture. Le Lusitania, endommagé, stationnera longtemps dans le port et José y sera affecté. L’officier chargé des munitions avec qui il travaille alors, lui trouve une ressemblance avec son fils, Peter, et finit par lui demander de l’appeler comme cela aussi. Au fil du temps, tout le monde finira d’ailleurs par l’appeler sous ce nom qui lui deviendra, même localement un vrai patronyme. Et par extension, quand peu à peu il remplace son père, le café finit par s’identifier à ce nom : on va chez Peter.

La chasse à la baleine a depuis longtemps décliné, ainsi d’ailleurs que peu à peu l’activité des compagnies téléphoniques, le port qui pendant longtemps a eu une vocation charbonnière pour approvisionner les navires sur la route de l’Atlantique, voit son activité décroître. Dans les années soixante, sur les traces de l’illustre prédécesseur, Joshua Slocum, de nouveaux navigateurs font leur apparition. Pour la plupart, ce sont des navigateurs solitaires dont l’histoire a retenu le nom. Tous ou, presque passèrent  à Horta, escale commode au milieu de l’Atlantique, que ce soit pour les plus connus Alain Gerbault, Chichester, Robin Knox-Johnston, les Van de Wiele, Tabarly, Gliksman, Loïck Fougeron, Humphrey Barton,  Olivier Stern-Veyrin, et tant d’autres, moins connus, mais tout aussi prestigieux dans l’histoire de la navigation de plaisance. Moins connus aussi tous les anonymes qui année après année perpétuent la tradition, s’arrêtent à Horta, viennent au Café Sport et n’oublient pas de peindre sur les digues et les quais un message témoignant de leur passage. Véritable oeuvre d’art collective, elle s’étale sur des centaines de mètres tout autour de la marina et du port.

 

 

Au début, ces navigateurs de passage étaient regardés avec bienveillance, ce qui n’excluait pas dans l’œil des îliens une nuance amusée pour ces étranges navigateurs un peu fous sur des bateaux parfois à la limite dangereux. « Peter », à cette époque, pris l’habitude d’aller gentiment accueillir les marins de passage. Il fallait alors accomplir des formalités douanières dont on n’a plus idée aujourd’hui. Si nous hissons encore religieusement le pavillon jaune (qui veut dire que l’on demande la libre pratique, c’est-à-dire le passage des douaniers et autres autorités), je crois bien que plus personne n’y fait attention. Mais à l’époque, il fallait attendre à l’ancre le passage non seulement des douaniers, mais en tout premier lieu du médecin qui venait vérifier que vous n’étiez pas porteur d’une maladie contagieuse. Et le brave médecin, qui avait aussi ses clients habituels, n’avait pas toujours le temps de venir vous voir. Et parfois le bateau restait plusieurs jours à attendre ainsi le bon vouloir du docteur. Peter jouait les intermédiaires. Comprenant bien la lourdeur administrative, comme aussi le légitime souhait des navigateurs de mettre pieds à terre après souvent une navigation bien moins simple qu’aujourd’hui, il venait avec sa petite barque à la rames, prenait les papiers, allait les faire tamponner puis facilitait la suite des formalités. Peu à peu, il associa à ses activités celles de poste restante, d’agent de change, d’intermédiaire pour divers services, aiguillant le navigateur vers l’artisan qui saurait le dépanner. Et peu à peu, la légende de cet accueil chaleureux, aimable et désintéressé s’est propagé tandis que la tradition s’est léguée à l’actuel José Enrique Gonçalves Azevedo qui depuis 1978 qui a pris en main les destinées de l’affaire familiale.

 

Une institution reconnue.

Le souvenir de « Peter » et les services qu’il a rendus, en dehors de ses activités avec le café, à la collectivité lui ont même valu que la rue où se trouve l’établissement ait été rebaptisée. Aujourd’hui la rue s’appelle « rua José (Peter) Azevedo ». L’enseigne du café a aussi changé. Si « Peter » avait accroché l’aigle sculpté d’une ancienne baleinière américaine au-dessus de la porte, c’est maintenant le cachalot qui sert d’emblème au célèbre café, tandis que l’aigle figure en bonne place au-dessus du bar.

Aujourd’hui, l’affaire s’est étendue. Il y a toujours, bien entendu, le café, mais aussi un vaste magasin de souvenirs très bien achalandé et un bureau (Peter Zee Base) qui permet de s’inscrire pour diverses activités comme le whale watching, la plongée, la découverte des volcans, etc. Véritable institution, l’enseigne reste cependant très accueillante. José est vraiment le digne héritier de la tradition familiale. Il perpétue l’hospitalité, l’accueil, et est toujours prêt à rendre service. Son carnet d’adresses est inépuisable et il peut très facilement vous mettre en rapport avec la bonne personne pour quelque problème que ce soit. Il fait moins poste restante aujourd’hui, bien que des lettres sont encore épinglées au-dessus du bar, mais c’est plutôt la faute à internet. La restauration y est bonne, et Portugal oblige, pas très chère. J’ai pourtant trouvé qu’il n’y avait pas trop de marins, mais José m’a expliqué qu’en fait on est déjà plutôt en fin de saison, plutôt des vacanciers, plaisanciers qui viennent de France et repartent après quelques jours, que les gros bateaux sont déjà passés, que l’interdiction de fumer a chassé les marins vers la terrasse quand, apparemment, et c’est d’ailleurs regrettable, beaucoup fument, et qu’enfin, c’est vrai, maintenant que son café est dans tous les guides, les touristes du monde entier qui visitent les Açores s’arrêtent aussi, notamment pour visiter son musée à l’étage.

Gentiment, José m’a convié à une visite privée et le maître des lieux m’a simplement raconté ce que je viens de vous dire. Les photos, mieux que moi, illustreront cet art exceptionnel du scrimshaw. Il est cependant des témoignages exceptionnels qu’il faut souligner. Au hasard des pages tournées, des gravures dévoilées, des tableaux affichés, l’on voit aussi bien un Prince, le Président John Kennedy que le Pape Jean-Paul II dont un diplôme à l’attention de « Peter » orne un mur. C’est vraiment extraordinaire ce que cet homme a réussi à propager comme idéal de gentillesse, d’accueil au service finalement de son île. Nul doute qu’à mon prochain passage, je ne manquerai pour rien au monde d’aller saluer l’ami José.

 

Le Café Sport a son site internet, très bien fait: cliquer ici>>>>